Texte de Cécile Simonet, historienne de l’art
« Prenez garde au leurre de l’immédiateté », pourrait-on murmurer à l’oreille des visiteurs prêts à découvrir les toiles de Yannick Bonvin Rey.
En balayant des yeux les grands formats qui happent d’emblée le regard, on perçoit des mouvements de pinceaux comme une direction à prendre. Des chemins balisés, rassurants, que l’on suivrait aveuglément d’une toile à l’autre. Mais ce serait se méprendre des paysages flottants qui s’offrent à nous. Lorsque l’on s’attarde devant ses tableaux, et que l’on pose notre regard sur les parties qui nous semblaient de prime abord stables et définies, les pistes se brouillent. Les premières traversées de la surface de la toile s’amplifient progressivement. Ici, des reliefs se creusent, là, des éclats surgissent au creux d’une accalmie. Yannick Bonvin Rey parle de vibration. Ses compositions semblent en effet mouvantes. Si les étendues de noir marquent le territoire dans cette série aux nuances de gris bleutées, elles n’imposent pas leur force mais cèdent plutôt le pas aux espaces éthérés — tremblements visuels lumineux.
Yannick Bonvin Rey a toujours associé sa pratique picturale à des écrits en prose poétique, ou à des poèmes qui l’habitent, ou qu’elle découvre au gré de ses lectures. D’une série de toiles à l’autre, les mots catalysent ou se profilent en contre-point. Ils enluminent une intuition, aiguillent ses gestes, éveillent une palette, lui ouvrent de nouveaux horizons. Elle apprécie la charge et l’agencement des mots. Leur résonance. Le corpus des œuvres présentées à Yverdon s’est articulé autour de Fouilles, une poésie d’Andrée Chedid. « C’est le rapport à la roche, à la terre qui m’a interpellé dans ce poème » précise l’artiste. Explorer, creuser, sonder les strates immémoriales. Des grands formats à forte densité minérale, l’on passe aux tableaux plus resserrés et liquides. L’eau dessine des méandres du bout du pinceau, nappe des sillons. Du rapport frontal de spectateur face aux grands formats, l’on prend soudain de la hauteur et devient oiseau migrateur. Cartographique. Yannick Bonvin-Rey aurait-elle l’âme d’un géologue qui, quand il vous montre une montagne, vous parle de la mer? Quand le doute commence à poindre, la poésie émerge.
Cécile Simonet, historienne de l’art / Genève-2019