Article de Pascale Zimmermann de la Tribune de Genève

La Galerie Marianne Brand livre les créations de cette artiste inspirée par Cheng, Verlaine et Jaccottet.

À même le bois, des empreintes. Feuilles, tiges, mousses et lichens, gorgés d’encre de Chine, laissent sur la surface enduite d’une pâte matricielle la trace de leur vie antérieure. Ils servent aussi de pinceaux à l’artiste pour esquisser des paysages que le spectateur perçoit plus qu’il ne voit. Yannick Bonvin Rey travaille en lisière entre abstraction et figuration, nature et culture, peinture et poésie. « Je cherche le point de bascule entre l’ombre et la lumière – la vie et la mon en réalité. Ce sont souvent des poèmes qui alimentent ma peinture, car leur écriture resserrée, condensée, me permet de visualiser en les lisant ce que je veux peindre », confie-t-elle lors d’une rencontre à la galerie carougeoise Marianne Brand, qui l’expose jusqu’au 26 mars pour la cinquième fois depuis 2012.

Sa première révélation poétique, elle la ressent à la lecture de Verlaine, vers 15 ans. « J’ai grandi en Valais, à Sion, et je viens d’un milieu paysan où je n’avais pas accès à la culture classique, celle des grands musées notamment. C’est en entrant au collège que je réalise tout ce qui existe dans le monde de l’art et que je ne connais pas.» L’appétit la pousse vers Genève, « qui, par la richesse de son offre culturelle, lui donne le tournis. » « J’aimais la peinture et la littérature, mais je n’ai pas osé m’autoriser une école d’art ou l’université en Faculté des lettres. J’ai suivi une formation d’éducatrice spécialisée, un métier que j’exerce encore au­jourd’hui. » Mais l’art la titille. Yannick suit pendant sept ans les cours de Fabrice Glasbrenner, qui l’initie à la peinture. « Puis un galeriste de Sion m’a repérée. À Genève, c’est avec Marianne Brand uniquement que je travaille. »

Pour chaque exposition, l’artiste définit un thème. Cette fois, ce sont les bruissements. Ceux des végétaux qui glissent sur le bois, des traces de pas délicats sur la plage blanche du matériau qui le recouvre. On dirait le passage d’une aile d’oiseau, une plante en décomposition ou un fossile pris au piège dans la roche. Les tiges utilisées en guise de pinceaux ont toutes une graphie différente-leur signature.

« J’ai suivi un parcours sinueux, mais je crois que ces détours m’ont nourrie. Je n’ai pas été «formatée» dans une école d’art et me suis sentie libre d’aller où je voulais, palier par palier et de développer quelque chose de très personnel», constate Yannick Bonvin Rey. Dernièrement, elle s’est lancée dans des peintures sur papier selon un format particulier : un rectangle au bas d’une page immaculée. « ll ne s’agit pas du cadrage d’une œuvre plus grande, dont les marges se cacheraient sous la surface blanche, mais bien d’un petit tableau conçu pour cet espace réduit. Le vide en haut, c’est une rêverie, une respiration. »

Pascale Zimmermann/ 22 mars 2021