Nécessité de la lenteur et de la persévérance

INTERVIEW réalisée par Jean-Paul Gavard-Perret pour lelitteraire.com, le 12 mars 2021

Yannick Bonvin Rey crée des espaces de mys­tère par le lan­gage pic­tu­ral. Ils jaillissent ou s’étalent non sans volon­taires “accrocs” par tout un tra­vail méti­cu­leux de lignes et des strates de matière. Et ce, entre l’abstraction et une forme de figu­ra­tion. La créa­trice se rap­proche d’une esthé­tique extrême-orientale mais aussi de Michaux en de telles “émer­gences, résurgences”.

Tout se méta­mor­phose entre l’éther et le tel­lu­rique là où les pro­prié­tés du visible et de l’invisible s’irradient mutuel­le­ment en une atmo­sphère étrange et poé­tique. Jaillit une lumière qui n’est pas un éclai­rage. Elle vient en effet de la pro­fon­deur de la toile aussi ratu­rée (par­fois) qu’ouverte. Émerge une vision de l’intime par les formes et les cou­leurs sou­vent de limbes. En sourd ce qui ne pos­sède ni de nom ni de formes apprivoisées.

Entretien

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?

La lumière du jour et l’amour de ce que je fais.

Que sont devenus vos rêves d’enfant ?

Je les ai patiemment cultivés et finis par croire qu’ils étaient possibles.

A quoi avez-vous renoncé ?

Au « Tout, tout de suite». Avec le temps la lenteur m’intéresse davantage.

D’où venez-vous ? 

De la montagne

Qu’avez-vous reçu en “dot” ? 

Le goût de la persévérance

Un petit plaisir – quotidien ou non ?

Le petit déjeuner avec miel et confitures maison. Je ne sors jamais de la maison sans avoir vécu ce doux moment.

Qu’est-ce qui vous distingue des autres poètes, artistes ? 

Mon parcours singulier d’autodidacte bien que je ne sois pas la seule dans ce cas là.

Comment définiriez vous votre approche de la perte ?

J’essaie de l’apprivoiser mais elle m’effraie, surtout la perte des personnes qui me sont chères. La peinture, la lecture m’aident à l’envisager comme partie intégrante de la vie. J’essaie de vivre avec intensité.

Quelle est la première image qui vous interpella ?

Dans l’enfance, l’iconographie religieuse un peu kitch qu’il y avait chez mes grands parents. Sinon mon premier choc artistique fut la joie ressentie devant une image d’un tableau de Kandinsky, composition VII.

Et votre première lecture ?

J’ai lu des livres dans l’enfance mais sans y trouver du plaisir. Ma première vraie rencontre littéraire s’est produite avec les poèmes de Verlaine à l’adolescence.

 Quelles musiques écoutez-vous ?

J’écoute peu de musique car j’aime le silence. Ce dernier est déjà très habité. J’écoute souvent le Sabat Mater de Pergolesi.

Quel est le livre que vous aimez relire ?

Les poèmes de Philippe Jaccottet et plus particulièrement ceux du recueil A la lumière de l’hiver.

Quel film vous fait pleurer ?

Les délices de Tokyo de Naomi Kawase.

Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?

Souvent une femme de plusieurs âges : parfois je suis celle de ma date de naissance, parfois un parfum d’enfance ou un air d’adolescente me traverse et à d’autres moments j’ai l’impression d’avoir l’âge d’une très vieille femme. Cela dépend des périodes et mêmes parfois des instants de la journée.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?

A Zao Wouki

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?

Rome

Quels sont les artistes et écrivains  dont vous vous sentez le plus proche ?

Pour les peintres : Turner, Le Caravage, Zao Wouki, Soulages, Fabienne Verdier ceux et celles qui cherchent la lumière, une articulation entre le clair-obscur et une forme de transcendance.

Les poètes en général et en particulier Philippe Jaccottet, François Cheng et  Andrée Chedid qui célèbrent la nature.

Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?

Un long séjour dans une grande et confortable maison à la montagne ou en bord de mer avec mon homme,  mes enfants et mes proches pour partager de savoureuses soirées  bien arrosées et discuter autour de la table jusqu’à pas d’heures, danser, rire…

Que défendez-vous ? 

L’accès à la culture pour tou.te.s Je suis très attachée à l’article 27 des droits de l’homme qui dit ceci : Toute personne a le droit de prendre part à la vie culturelle de la communauté. Ca me paraît essentiel.

Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?

Je suis perplexe face à cette phrase. Je pense qu’on ne donne que ce qu’on porte en soi. De plus, en tant que femme je suis très sensible à la notion de consentement donc non je ne partage pas cette pensée.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?”

Je n’aime pas cette phrase ; il n’y aucune écoute de la question. C’est difficile de bien écouter et il me semble primordial de trier ses choix et ses réponses. Donc le oui à tout ne peut qu’amener davantage de fourvoiements.

Que pensez-vous de celle de Vialatte “L’homme n’est que poussière, c’est dire l’importance du plumeau” ?

Elle est pleine d’humour. Elle parle de notre vulnérabilité tout en laissant entrevoir une face cocasse ou coquine de la vie.

Quelle question ai-je oublié de vous poser ?

Aucune, cela me semble suffisant pour l’instant…

Jean-Paul Gavard-Perret pour lelitteraire.com, le 12 mars 2021